Texte présenté le 16 avril 2023, au Clos sur la Fontaine, dans le cadre de la parution d’un nouveau numéro de la revue Moments ayant pour thème Gaudeamus Igitur ; « Réjouis-toi, la vie est brève ».
Réjouis-toi ma bonne Josiane, car la vie est courte.
Ça fait vingt ans que je te supporte, que j’accepte tes sautes d’humeur et le chapelet de tes remarques désobligeantes que tu égrènes chaque jour pour me rappeler à ma condition de moins que rien
Vingt ans qui m’en ont paru quarante.
Vingt ans dans cette cellule sans barreau avec pour garde-chiourme la mégère que tu es devenue. Tu as toujours été autoritaire, ce qui d’ailleurs ne fut pas pour me déplaire. Je trouvais dans la soumission un certain confort et même un certain plaisir lorsque tu me fouettais et me faisais porter une muselière. Mais la passion charnelle n’eut qu’un temps. Fouet et muselière furent bien vite remplacés par tes paroles acerbes qui n’acceptaient aucune réplique.
Réjouis-toi ma bonne Josiane, car la vie est courte.
Je suis passé aujourd’hui aux pompes funèbres. J’ai choisi ton cercueil et donné ordre de creuser ton caveau. Considère cela comme une marque d’attention, une forme de bienveillance en regard de ta souffrance psychique et de ta propre finitude que tu sembles ignorer.
À l’exception du plaisir que tu tires de ta perversité à me dominer et à me castrer, t’es-tu un jour réjouie de tous les cadeaux que t’offrait la vie… Jamais.
Tu me fais vraiment pitié et depuis quelque mois, j’ai pris conscience de ton affliction funeste.
Enfermé dans mon mutisme, je ne cesse de t’observer. Ce n’est pas ta faute. Je suis persuadé que tu as envie de guérir mais que cela t’est impossible. Tu souffres le martyre sans rien en dire. Courageuse, tu abordes chaque nouvelle journée en proie à ce mal qui te dépasse.
Cela fait plusieurs mois que je cherche à en comprendre l’origine. J’ai parcouru le Net, consulté des psychiatres, arpenté la bibliothèque de la faculté pour cerner ce dysfonctionnement de ta personnalité qui fait de ta vie et de la mienne un enfer.
Ma conclusion est sans appel. C’est un problème de psycho généalogie et d’ADN. C’est incurable. Tu resteras acariâtre jusqu’à la fin de tes jours.
Sache que j’admire ton abnégation, ta volonté à continuer à porter ce fardeau. Je suis persuadé que l’euthanasie te serait accordée si tu en faisais la demande. Connaissant tes croyances, jamais tu n’envisageras cette option, préférant chaque jour gravir le Golgotha en ma compagnie.
Comprends que cela m’est devenu insupportable de te voir ainsi dépérir dans ce cercle infernal d’acrimonie. Voilà pourquoi, aujourd’hui, j’ai pris la décision de me substituer au médecin pour abréger ta souffrance. Par amour pour toi, chaque matin, je déposerai désormais quelques gouttes d’arsenic dans ton café.
Oui vraiment, réjouis-toi ma bonne Josiane, car ta vie sera brève.
7 février 2023