Fleur de mai

Texte présenté au Blues-Sphere le 4 mai 2023 dans le cadre des soirées « Laisser dire » avec pour thème : « Fleurs et premier mai»

Ses parents avaient choisi de l’appeler Fleur. Arrivée en ce monde un 1er mai, elle aurait tout aussi bien pu s’appeler Muguette mais, contrairement à aujourd’hui, l’heure n’était pas encore à l’inclusion.

Fleur Clermont, voilà qui sonnait bien. Un prénom simple qu’on retiendrait et qui, lié à cette date symbolique, serait pour elle le porte-bonheur de tous les instants.

La petite était un rayon de soleil pour son entourage. Toujours joyeuse, elle savourait la vie avec gourmandise. Chaque fois qu’on lui proposait des choix, elle répondait « je veux tout. » « Je veux tous les gâteaux, je veux tous les jouets, je veux tous les beaux habits du magasin, je veux tous les livres… »

Dès qu’elle commença à parler, ses premiers mots ne furent ni papa, ni maman, mais le verbe vouloir conjugué à la première personne du singulier et sur un ton ferme. « Je veux… »

Rien ne pouvait ou ne devait lui résister. Tout se devait d’aller selon son bon vouloir. Ses parents trouvaient là l’expression d’un caractère fort tandis que le commun y percevait les caprices d’une enfant gâtée.

Elle eut un parcours scolaire sans anicroche, faisant l’unanimité quant à ses capacités intellectuelles. Et lorsque ses professeurs mentionnaient son manque d’intelligence émotionnelle, ses parents interprétaient ces récriminations comme l’expression du souhait de l’éducation nationale d’instaurer un nivellement par le bas fondé sur la vision utopique d’une égalité des chances pour tous.

Pour Fleur, le monde n’était pas égalitaire. Il y avait les forts et les faibles. Les dominants et les dominés. Ceux qui dirigeaient et les autres qui se laissaient diriger. Ceux qui voulaient et les autres sans volonté.

Parmi ceux qui « voulaient », il y avait les privilégiés nés sous la bonne étoile du 1er mai. Elle était convaincue que ce jour particulier était celui des élus. Et au sein de cette élite, il y avait la fine fleur, ceux qui portaient un prénom inspiré du monde botanique.   

Dès qu’elle ressentit ses premiers désirs charnels, elle se laissa butiner par les premiers venus lui contant fleurette. Ceux-ci, au contact de sa corolle, en éprouvaient un ravissement certain. 

Ces amants de passage répondaient à sa sommation sans appel : « Je veux du sexe… » Au petit matin, un vide et une profonde amertume l’habitaient.

Déçue par ces rencontres sans lendemain, ne pouvant contenir ses pulsions, Fleur finit par s’autobutiner. Fin août, début septembre, elle parcourut les parcs et jardins de la ville, vêtue d’une simple robe printanière, sans porter le moindre dessous.

Elle s’asseyait au soleil, sur des bancs isolés, en écartant les jambes, confiante dans les pouvoirs de la nature et dans sa propre volonté. Le plaisir montait alors en elle et, avant d’atteindre l’orgasme, elle adressait cette injonction au ciel : « Je veux un enfant de moi seule. »

Son appel fut entendu puisque neuf mois plus tard un gros bébé vit le jour. C’était un 1er mai. Elle le nomma Narcisse. 

Didier Joris

3 mai 2023