Ce samedi 3 août, peu après 16 heures, mon téléphone vibra dans ma poche alors que je tondais la pelouse. N’ayant pas eu le temps de décrocher, j’ai appelé ma messagerie. C’était Anne-Marie, l’épouse de Théo. Il venait de nous quitter après de nombreux mois de combat. Théo n’était plus. Tout au moins en notre monde apparent.
Je me suis assis sur un banc et alors que mes yeux se brouillaient de larmes, j’entendis quelque part, caché dans les arbres, le piaillement d’un oiseau. Un son étrange, bref, monocorde, aigu et strident, bien loin des chants habituels qui égayent mon jardin. Un son qui m’était inconnu. Une sorte d’appel insistant. J’eus beau scruter la frondaison, aucun oiseau ne m’apparut. Puis le chant s’arrêta, sans le moindre vol à l’horizon. Voilà un signe, me dis-je. Le signe d’un au revoir qui, je le savais, n’en serait jamais un.
On ne peut effacer un vécu de plus de trente ans. Détailler l’histoire d’une amitié faite de colloques singuliers n’a que peu d’intérêt. Cela tient de l’intime. Par contre, évoquer l’héritage de celui qui nous quitte donne sens au chemin parcouru et relève du partage.
Théo, c’était avant tout une oreille attentive mais surtout un regard qui écoute. Son anamnèse amenait ses patients à mettre des mots sur leur ressenti, sur leurs émotions. Il était de ces rares médecins qui connaissent la force de la parole et les vertus des phrases libératrices. Écouter avec tous ses sens en éveil, avec une infinie patience et sans jamais interrompre était certainement l’une de ses très grandes qualités. Il savait pertinemment que la guérison prend naissance dans la prise de conscience, dans la révélation et l’expression de ses propres dysfonctionnements et de ceux de sa lignée… que les histoires de vie s’inscrivent dans les corps.
Celui qui écoute vraiment parle peu. Mais lorsqu’il parle, il le fait avec sagesse, sans jugement, en utilisant des termes justes, des propos rassurants. Théo était fait de ce bois de la bienveillance.
Et puis, Théo était croyant. Croyant et pratiquant. Dans un siècle où le sacré et les rituels ont perdu le rôle de gardien des hommes, il avait à cœur d’appliquer dans sa vie de tous les jours les principes qui grandissent l’âme. La sienne et celle des autres. Il avait conscience des grâces offertes par l’existence, de la puissance de la prière et des vertus du pardon.
Bien loin de tout dogmatisme, il était curieux de l’autre et de la façon dont chacun pouvait appréhender la réalité. Lui qui venait d’une terre de tradition, il savait le monde multiple, merveilleux et magique. Il savait au plus profond de lui qu’un monde invisible existe, parallèle à celui que nous présente notre incarnation. Un monde qui ne lui était pas étranger. C’est ce monde qu’il a rejoint et duquel il nous fait signe.