Lettre à un ingrat

Mon cher filleul,

Je constate avec étonnement que tu souhaites recevoir de mes nouvelles !

Sache que je suis arrivé sans encombre à destination bien que tu fis fi d’honorer les débours liés à mon périple. Je te prierai donc d’exécuter tes engagements dans les délais les plus brefs. Crois bien que je n’apprécie pas du tout ton manque de probité, d’autant plus qu’en ce nouveau lieu de résidence que tu m’as choisi, il m’est impossible de répondre de quelconques dettes.

Quelle tristesse de constater une fois de plus que tu restes par-dessus tout un infâme égoïste ! De l’âge ingrat, tu as fait tien l’adjectif qui s’est assimilé à ton être profond pour façonner ta personnalité abjecte et ô combien égocentrique. « Ingrat », tel devrait être ton véritable nom en lieu et place de celui sans tache que te légua feu ton pauvre père.

Après l’abandon de ta mère, j’ai pourtant tout mis en œuvre afin que la vie te soit agréable. Jamais tu n’as manqué de rien. Par faiblesse, j’ai cédé à tous tes caprices au point de me retrouver sans le sou, allant jusqu’à vendre les bijoux de Mamie pour t’éviter la fréquentation des restos du cœur. J’apprends maintenant, par les nouvelles relations haut placées et bien informées qui ici m’entourent, que tu dilapidais mes deniers avec une bande de pochards qui préféraient les bancs des bistrots à ceux des auditoires. Aux libations et jeux d’argent s’ajoutaient, me disent-ils, ceux des plaisirs charnels financés par mes maigres économies qui servaient à entretenir des relations tarifées.

Il y a quelques jours, tu aurais vendu ma maison pour faire face aux exigences de ton existence dissolue !

Comment oses-tu aujourd’hui chercher à savoir où j’ai caché mes Louis d’or !

Ne compte ni sur moi ni sur madame Irma pour te divulguer ma cachette. Je profite des pouvoirs médiumniques de cette dernière qui te fait face et de son don certain pour l’écriture automatique afin de t’enjoindre à lui payer ce texte certifié en monnaie sonnante et trébuchante en lieu et place de tes habituels chèques en bois.

N’ayant pu me mettre en ordre auprès de mon avoué avant mon départ précipité pour lequel tu ne serais d’ailleurs pas étranger, ces lignes devant témoin peuvent être considérées comme testament valide prouvant que je te déshérite post mortem.

J’espère, cher ingrat, que cette lettre de l’au-delà te fera prendre conscience de l’impérieuse nécessité de modifier le cours de ta destinée.

Je souhaite que tu me laisses désormais en paix car j’ai hâte de me reposer durant quelques siècles. Il paraît, selon mes nouveaux amis, que nous nous retrouverons dans une existence future. Compte sur moi pour alors te mener la vie dure.

Ta marraine