Texte présenté au Blues-Sphere le 3 mars 2020 dans le cadre des soirées « Laisser dire » avec pour thème : « Giboulées de mars».
J’affectionne les mots croisés et les mots fléchés comme d’autres les échecs ou le poker. Cela me détend et fait fonctionner mes neurones ce qui relève d’une nécessité depuis ma mise à la retraite et le peu d’activité cérébrale qui occupe mes journées.
Cette passion cruciverbiste est surtout motivée par une découverte troublante que j’ai faite il y a quelques années. Les mots qui naissent des petits carrés blancs ont une influence sur notre avenir et donnent une vision bien plus précise de notre destin que les horoscopes. Il n’y a pas de hasard et si vous vous adonnez comme moi aux mots croisés, vous découvrirez, avec un peu de pratique, que mes dires sont exacts. Je ne prête dès lors aucune foi à l’horoscope qui borde la page des jeux de mon quotidien mais me fie aux mots qui surgissent des grilles pour verbicrucistes. Chaque jour , j’en agence ceux que je juge les plus pertinents afin qu’ils donnent sens à ma réalité existentielle.
Ainsi, ce matin, de la grille des mots croisés sont apparues des définitions qui m’ont semblé marquantes et dont je vous livre les réponses. Ce sont ces dernières qui, comme à l’habitude, serviront de trame à ma journée.
- ôter la tête en 9 lettres : décapiter
- pot-de-vin en 10 lettres : commission
- hardi en 5 lettres : crâne
- se porte parfois dans le dos en 3 lettres : sac
- avoir la propension à en 8 lettres : disposer
- ondée en 8 lettres : giboulée
Cela fait maintenant près de 17 ans que je fais des mots croisés et c’est la seconde fois qu’apparaît giboulée, le petit nom que je donne à Mauricette.
Mauricette, je l’ai rencontrée en mars 2010, lors d’une visite chez le dentiste. Elle y était assistante et c’est parait-il mon sourire qui la fait craquer mais surtout le fait que je sois un taiseux. Car Mauricette, elle aime parler. Sans doute parce que dans son métier elle ne peut pas vider chaque jour l’énorme réservoir de mots qu’il l’habite. Alors, de retour à la maison, elle s’épanche. Je devrais plutôt dire : elle dénigre. Elle cause pas, elle déblatère. Car Mauricette elle est charmante mais elle a ses sautes d’humeur, quasi chaque jour, pour tout et pour rien. Tout l’indispose. Une porte mal fermée, une lumière restée allumée, un robinet qui fuit, la vaisselle mal rangée… Tout prend des proportions dramatiques. Après de courts moments paisibles, elle devient glaçante et cinglante et je ramasse douche froide sur douche froide tant et si bien que je l’ai affublée du sobriquet de giboulée.
En effet, il y a sept ou huit ans, lors de l’un de mes exercices de mots-croisiste, en potassant le dictionnaire, j’ai découvert pour giboulée la définition suivante : « Averse, souvent accompagnée de vent, aussi brève que violente qui se produit lors du passage de l’hiver au printemps, principalement aux mois de mars d’où l’expression “giboulées de mars” ». Ayant comme je vous l’ai dit connu Mauricette en mars et, au vu de son caractère versatile, je trouvais que ce pseudonyme lui allait à ravir.
Le mot giboulée m’était donc apparu une seconde fois. C’était un signe évident. J’ai alors repris les mots du jour qui me semblaient les plus marquants à savoir giboulée bien sûr mais aussi sac, disposer, commission, crâne, décapiter. Remis dans l’ordre, cela donnait : décapiter Giboulée et disposer le crâne dans un sac à commission.
Depuis bien longtemps, Giboulée me portait sur les nerfs et voilà que le destin m’offrait la solution pour mettre un terme aux brimades dont j’étais victime. Comme vous le savez, aucun homme ne peut se soustraire à son destin. Je devais donc me plier au pouvoir des mots et agir pour que ce qui était écrit se réalise. Je n’avais plus d’autre choix que d’occire Mauricette.
Ce matin-là, elle était assise à la table de la cuisine occupée à éplucher les patates. Je lui ai caressé les cheveux ce qui l’a surprise. Je ne voulais pas qu’elle souffre et j’ai donc usé de la technique utilisée lors des sacrifices d’animaux. J’ai détendu la bête en la cajolant puis paf : un mouvement sec avec le grand couteau de cuisine qui sert à découper le rosbif. Sa tête s’est affaissée sur les épluchures de pommes de terre. Il ne me restait plus qu’à donner un petit coup de hachoir à viande en haut de la colonne vertébrale et la tête roula toute seule au milieu de la table. J’ai pris celle-ci ensuite par les cheveux pour la mettre dans le sac que j’utilise pour faire les commissions. J’avais des haut-le-cœur. Elle avait comme toujours les cheveux gras et je devais poigner dans cette masse poisseuse et répugnante. Giboulée a perpétuellement les cheveux gras et cela m’a toujours dégoûté au plus haut point. Par la suite, je me suis donc précipitamment lavé les mains puis je me suis penché sur les mots fléchés pour connaître la suite qui devait être donnée à cette histoire.
Je vous résume les éléments principaux qui m’ont marqué dans cette seconde grille :
- style de musique en 5 lettres : blues
- effigie en 4 lettres : tête
- nom de famille lié à un métier en 8 lettres : aptonyme
- consacrer en 6 lettres : dédier
- munificence en 6 lettres : cadeau
- jour gras en 5 lettres : mardi
- globe en 6 lettres : sphère
Ce qui nous donne donc dans l’ordre : Dédier tête mardi cadeau Blues Sphère aptonyme. Ce qui s’exprime plus clairement par : offrir la tête de Giboulée en cadeau, ce mardi, au Blues-Sphere, à une personne dont le nom évoque une profession.
J’ai tout de suite pensé à… Jean-Paul, le fondateur de cet endroit mythique dans lequel nous nous trouvons et dont la traduction du patronyme Brilmaker signifie dans la langue de Molière : fabricant de lunettes. En plus, ça tombait bien car c’était son anniversaire il y a peu. Bon anniversaire mon cher Bril.
Cette histoire doit bien sûr rester entre nous. J’espère donc que les mots me seront demain favorables, du style : discrétion, secret gardé, amitié préservée…
J’espère aussi qu’à l’évocation du mot giboulée de mars, vous n’aurez pas à l’esprit la triste fin de Mauricette mais une pensée émue pour ma délivrance et pour l’anniversaire de notre hôte Jean-Paul.