Vacances zébrées

Texte présenté au Blues-Sphere le 1 juin 2023 dans le cadre des soirées « Laisser dire » avec pour thème : « Les vacances»

Je n’ai jamais aimé les vacances… surtout en été. Je déteste cette période de léthargie où tout s’arrête, où nombre de mes semblables s’exhibent à moitié nus pour ensuite récolter les fruits narcissiques de leur exposition au soleil. « Mon Dieu, quel beau bronzage tu as. Où es-tu allé en vacances ? »

J’ai ainsi connu une maîtresse femme du nom de Josiane avec qui j’ai passé quelques années de ma vie dont de trop nombreux étés dans une station balnéaire du sud.

Du matin au soir, elle était couchée sur un grand essuie de bain, se badigeonnant de crème pour se protéger, mais surtout pour que son épiderme présente un teint parfaitement hâlé sans la moindre rougeur. Sa hantise était de voir sa peau pelée.

Après quelques jours, elle se dévoilait à moi avec un corps zébré. N’étant pas adepte de galipettes dans le noir complet, voir sa plastique magnifique ainsi striée indisposait grandement ma libido.

Levrette, missionnaire, pie, tigre ou indolent, quelle que soit la position, je jouais les abonnés absents. C’est ce que les sexologues appellent le syndrome du zèbre, un trouble transitoire majoritairement présent durant les périodes estivales. Il ne concerne pas que les hommes mais les femmes sont moins prédisposées à ce type de pathologie, les positions susmentionnées exposant dans une moindre mesure leur vue à une géographie masculine restée vierge de toute conquête solaire.

J’ajoute à cela que j’ai l’odorat délicat et que les effluves de noix de coco sur une peau huilée provoquent chez moi des haut-le-cœur. Cela me donne l’impression de faire l’amour avec un Bounty.

Bien sûr, Josiane ne pouvait comprendre mon mal-être, n’étant nullement affectée par le syndrome du zèbre. Elle était furieuse. Comment était-il possible, alors que nous étions en vacances, de ne pas en profiter pour assouvir, sans stress et sans contrainte, nos pulsions habituellement mises sous l’éteignoir ! Pour elle, vacances égalent plein de vitamines D et gymnastique artistique en chambre.

Je n’en pouvais rien. Chez moi, lait et chicorée n’ont jamais fait bon ménage. Je choisis l’un ou l’autre mais pas les deux.

Il nous fallait trouver une solution car ces vacances estivales mettaient à mal l’avenir de notre couple.

Je lui ai bien proposé de passer ces jours d’été dans un camp de nudistes. Jalouse, elle a rétorqué que je cherchais là une excuse toute faite pour me rincer l’œil, que c’était bien la preuve de mes penchants libidineux. Je lui ai alors suggéré de faire du banc solaire avant de partir en vacances mais elle m’a déclaré qu’il n’y avait rien de plus mauvais pour la peau. Quant à l’erythrulose présent dans les autobronzants, elle y était allergique.

Elle, de son côté, m’encourageait à conserver mes lunettes solaires lors de nos devoirs conjugaux.  Cela ne faisait qu’atténuer légèrement mon mal-être. J’avais l’impression d’être une mouche sodomique volant dans le brouillard. Je me trouvais grotesque d’autant que, Josiane ayant l’art de toujours s’agiter frénétiquement avant l’orgasme, mes besicles me tombaient régulièrement du nez. Ça me coupait encore plus mes effets et décuplait sa frustration de ne pas avoir atteint une plénitude tellement désirée.

Même le Viagra n’avait aucun effet.

Après trois saisons estivales, j’en avais vraiment marre. La quatrième année, à l’aube du départ vers les ciels du sud, j’ai prétendu avoir un lumbago digne de Thierry Lhermitte dans Le Dîner de Cons.

Je savais qu’en me faisant porter pâle pour cette question de bronzage, Josiane en prendrait ombrage. Elle n’a rien dit et a pris le grand couteau de cuisine comme arme vengeresse. Je dois mon salut à notre voisine qui me recueillit dans ses bras alors que, ensanglanté, je m’enfuyais vers la rue.

Quelques mois plus tard, le procès eut lieu. Josiane fut condamnée pour tentative de meurtre. Aucune circonstance atténuante ne fut retenue pour alléger sa peine, pas même le syndrome du zèbre.  

Elle passa quelques années à l’ombre. Cela me fit des vacances.

Didier Joris

26 mai 2023