Le Roi des cons

Texte présenté au Blues-Sphere le 5 janvier 2023 dans le cadre des soirées « Laisser dire » avec pour thème : « Roi et Reine »

De vous à moi, je suis le roi des cons.

Je sais, cela prête à sourire. Comment ? Lui, le roi des cons ? Lui, si affable, si érudit et posé ? Comment peut-il être le roi des cons ?

Ceux qu’une telle interrogation effleure sont en fait mes sujets mais ils n’en ont pas conscience. Ils n’ont aucune notion de leur propre identité. Pire, nombreux sont ceux et celles qui la nient et qui répètent haut et fort : « En tout cas, moi je ne suis pas con ou… je ne suis pas conne ».

Quelle désolation. Comment les révéler à eux-mêmes ? Quel immense travail de reconquête.

Je parle de reconquête mais en fait, je ne suis pas encore le souverain de cette bande d’ignares bien que ce soit mon souhait le plus cher. Sans dévoiler la couronne, je suis un simple parlementaire ambitieux dont l’objectif secret est de rétablir la royauté en lieu et place de cette république à jamais nostalgique des fastes du Gotha.

Pour l’instant, je ne tire donc aucun avantage de cette fonction royale que j’assume dans l’ombre. Je ronge mon frein lorsque certains de mes confrères, certains journalistes ou de quelconques quidams me traitent de pauvre con, de vrai con, de con olympique, de petit con alors que je mesure un mètre quatre-vingt ou de gros con alors que je suis de taille mannequin. Dès le jour de mon sacre officiel, je leur ferai rendre gorge au motif de lèse-majesté.

En attendant, en exil sur mes propres terres, je fourbis mes armes dans l’attente d’un chaos qui ne saurait qu’advenir et qui me portera au pouvoir. Je suis persuadé qu’alors, la très grande majorité de mes concitoyens, complètement perdue, prendra conscience que seul moi peux les comprendre. En bon cons et connes qu’ils sont, ils boiront mes paroles et accepteront un changement de régime.

Ce travail de sape, je m’y attelle depuis plus de 20 ans. Lorsque l’on est un haut mandataire, l’important est de bien s’entourer.

Je choisis donc avec soin mes conseillers. Le tri en la matière est simple.

Je me dois de garder ceux dont les recommandations vont à l’encontre de tout bon sens. Jamais, je ne choisis de conseiller zélé afin d’éviter de me faire marcher sur la tête et réduire ainsi à néant mes ambitions.

Je préfère sélectionner des gens bornés, sans aucun pragmatisme mais emplis de rêves plus stupides les uns que les autres. Le peuple aime les rêves. Il aime les chimères. Lors de tout débat politique, j’ai plaisir à répéter que mes idées vont à l’encontre des faits objectifs de mes adversaires. La réalité vraie importe peu. Le bon peuple affectionne les concepts charmants et raffole de démagogie. Les cons et les connes trouvent sécurisant le dogmatisme politique. Cela les rassure. Ils peuvent s’identifier à des croyances qu’ils reconnaissent comme structurantes pour leur propre être. La subtilité ne fait pas bon ménage avec leur réalité existentielle. Ils aiment vivre par procuration au travers des idées d’autrui, les plus simples et plus clivantes possibles.

Quel que soit le sujet, mes chers conseillers savent toujours quand il faut distiller sans nuance tantôt de l’écologie, tantôt du racisme, tantôt de la politique financière ou budgétaire qui ne repose sur aucune analyse. Il faut faire le buzz car désormais seul le court terme est de mise et l’époque est à la dictature du paraître et des réseaux sociaux.

Ce que j’aime aussi chez mes conseillers c’est qu’ils ne se posent jamais la question du coût de leurs recommandations. Ils ne savent pas compter. Ils croient en l’argent magique. C’est de bon augure car lorsque j’aurai acquis le pouvoir absolu, je redorerai à grands frais le blason royaliste galvaudé par mes ennemis républicains, tout ça bien sûr aux frais de la princesse.

Mais être monarque, c’est avoir le sens de la famille.

Or, de famille, je n’en ai point encore. Je sais que c’est important car un roi se doit d’être entouré d’une compagne aimante et de petits princes bien propres sur eux et bien éduqués. Je cherche donc l’âme sœur qui, outre des qualités d’épouse, devra également assumer avec brio des fonctions protocolaires. Je ne cesse de faire tourner mon radar pour enfin rencontrer celle qui deviendra la future reine des cons. Croyez-moi, ce n’est pas simple. Si je veux réussir je me dois de trouver une perle d’intelligence qui comme moi partagera ce sens aigu du pouvoir royaliste et de la bêtise humaine. Je dois être sélectif pour ne pas, comme certains de mes prédécesseurs, terminer sur l’échafaud.

Didier Joris 5 janvier 2023