Contrariété dominicale

S’il est un plaisir du dimanche matin, c’est bien celui d’acheter ses croissants frais chez un vrai maître boulanger.

Il s’agit d’un petit bonheur simple qui constitue pour beaucoup un rituel plus qu’une habitude.

À notre époque, à défaut de messe, le petit déjeuner dominical fait souvent office d’office. Me voilà donc, dans ma traditionnelle boulangerie, attendant mon tour avec devant moi un vieux monsieur, habitué des lieux et heureux lui aussi à la perspective de l’agape matinale du septième jour.

Rien n’est cependant plus contrariant que de briser un acte coutumier et lorsqu’il fut dit au malheureux qu’on avait omis de lui réserver le grand pain rond qu’il commandait traditionnellement, le désarroi, l’incompréhension puis la colère l’envahirent.  Rien n’y fit, même pas le fait de remplacer son grand pain rond par un pain carré à la recette et au poids pourtant parfaitement identique. À son grand dam, ce jour-là, les grands pains ronds s’étaient vendus comme des petits pains.

Il s’en alla donc furieux, à la recherche d’un autre boulanger, incapable d’envisager la perspective que son pain puisse changer de forme.

Voilà une histoire qui ne mange pas de pain, mais qui prouve au combien il n’est guère facile de changer ses habitudes. À l’avenir, le brave homme fut, d’après son épouse, plus précis dans sa prière de l’aube : « Seigneur, donnez-nous aujourd’hui, au Fournil du Boulevard, notre habituel grand pain rond quotidien de 800 grammes. »