Texte présenté au Blues Sphère le 3 septembre 2019 dans le cadre des soirées « Laisser dire » avec pour thème : « La rentrée des classes »
Chaque année, à la mi-août, maman et moi allons chez Cora pour préparer la rentrée des classes. J’achète de nouveaux BIC, de nouveaux cahiers et un journal de classe. On en profite aussi pour m’acheter de nouveaux habits. C’est une période que je n’aime guère car ça sent tout doucement la fin des vacances qui approchent. Il est vrai que durant les deux mois de congé, j’en profite pour faire l’école buissonnière, ce qui m’est interdit durant l’année scolaire. J’aime tellement aller me balader dans les bois. A la fin de l’été, je suis naturellement un peu triste mais maman me console et m’encourage. « Ça te changera de retourner au collège. De toute façon, il va bientôt faire mauvais et tu commençais à t’ennuyer ». C’est malgré tout toujours le cœur gros que j’attends le jour de la rentrée.
Dès le 1er septembre, chaque matin, maman me prépare mes tartines pour midi et un petit goûter. Puis, sur le pas de la porte, elle me souhaite une bonne journée et m’embrasse sur le front. « Travaille bien mon chéri et soit prudent. Prends bien soin de toi. À tout à l’heure ». Elle se tracasse toujours maman, surtout pour moi qui suis son unique enfant. Elle a aussi peur que je fasse de mauvaises fréquentations et elle n’aime pas trop me voir avec des filles.
De toute façon, les filles m’intéressent, mais de loin. Je crois qu’elles me font peur ou alors, si je m’en éloigne, c’est peut-être pour ne pas faire de la peine à maman. Un jour, je lui ai parlé de Marielle, une voisine avec qui je prends le bus chaque matin. Ma voix a sans doute trahi quelque émotion car j’ai vu que cela faisait de la peine à maman. Je n’aime pas lui faire de la peine surtout depuis que papa est mort. C’était l’année dernière. Ce fut terrible pour moi, d’autant que quelques mois auparavant, Peggy, la petite chienne que mes parents m’avaient offerte à Noël avait été écrasée devant notre porte.
J’ai été fort affecté par le départ de papa. Il me manque. Seul dans ma chambre, il m’arrive souvent de pleurer, en silence, le visage enfoui dans l’oreiller, pour ne pas que maman m’entende et que sa peine soit ravivée. À l’école, Monsieur le directeur a bien vu que ça n’allait pas et m’a même appelé un jour dans son bureau. Il m’a dit qu’il comprenait mon chagrin, qu’un papa c’était irremplaçable ; que lui aussi avait perdu le sien il y a peu. Il m’a encouragé à tenir bon, à soutenir maman, à m’impliquer plus encore dans mon travail journalier et à lire beaucoup. « Lire est sans doute le meilleur remède pour faire son deuil » m’a-t-il dit. J’ai suivi son conseil et je lis tout ce qui me passe par la main. Il a raison Monsieur le directeur, ça aide. Depuis que papa n’est plus là, c’est moi qui, au retour de l’école, fait les courses. J’aime les sucreries mais maman ne veut pas que j’en achète. Elle dit que ça provoque le diabète, que depuis tout petit j’ai une addiction au sucre et que, sans doute, je cherche à combler un manque. Elle se culpabilise et elle pleure de me voir si gros. Alors je fais attention. C’est vrai que tous mes copains m’appellent Obélix.
En juin, juste avant les vacances, j’étais très heureux. Monsieur l’Abbé Brion et Frère Charles ont décidé de créer une chorale à l’école. Elle s’appelle les Rossignolets. J’ai été auditionné et ils ont trouvé que j’avais vraiment une très belle voix. J’ai été choisi comme soprano. Maman en a été très fière. Elle m’a dit : « Je te félicite mon grand. Papa aurait été tellement heureux tu sais ». J’ai bien vu que cela lui faisait plaisir à maman et à moi aussi d’ailleurs. J’ai hâte de rejoindre la chorale.
Bientôt, nous serons donc le 1er septembre. Chose amusante, je suis né le 1er septembre et chaque année je suis fêté à la rentrée des classes. Au collège, je suis le seul à être né un 1er septembre. Je suis donc ce jour-là le petit roi d’un jour, comme celui qui trouve la fève dans la galette des rois à l’épiphanie.
Cela me semblera étrange quand dans cinq ans ce sera la dernière fois. J’ai compté. En 2024, cela sera ma dernière année au collège. Cela fera 38 ans passés dans ces murs. 2024, ma dernière année à l’école avant que je sois retraité. J’espère que maman sera toujours là afin que je puisse enfin être auprès d’elle toute la journée.