Nouvelle qui a été présentée au Musée du Grand Curtius, le 24 février 2022 dans le cadre de la parution d’un nouveau numéro de la revue Moment avec pour thème imposé : » O tempora, O mores » ; « Quelle époque, quelles mœurs ! »
Aux yeux de mes proches, je passe pour un rabat-joie, un vieux con obtus et nostalgique accroché à un passé révolu.
C’est un fait. Pour moi, c’était mieux avant. La raison en est toute simple. Le temps s’est comprimé. Aujourd’hui, tout doit se faire dans l’instant. Tout désir se doit d’être assouvi dans l’immédiat. Hic et Nunc est désormais le précepte qui régit notre existence.
Nous avons ainsi oublié la joie profonde de l’attente.
Je voudrais par l’exemple vous en faire la démonstration au travers d’un des piliers qui gouvernent notre vallée de larmes, à savoir le sexe.
Par le passé, la recherche des plaisirs libidineux exigeait patience et persévérance.
Les formes charmantes se laissaient désirer, enfermées dans des magazines de papier cachés bien en hauteur, dans le recoin sombre des librairies de quartier. Pour échapper à l’opprobre de ses semblables, il était préférable d’en choisir une loin de chez soi. Il fallait ensuite veiller à la vacuité des lieux avant de s’y engouffrer rapidement pour saisir un ou plusieurs de ces illustrés coquins que l’on enfouissait sous le manteau ou, lorsqu’il faisait chaud, que l’on glissait à l’intérieur d’un journal… un journal parfois catholique. Et puis, de retour dans ses pénates, il restait à dissimuler ces précieux trésors dans les endroits les plus improbables afin de ne pas être démasqué et passer pour un sale licencieux, un obsédé, un érotomane en urgence de soin.
Il en allait de même pour les lieux de strip-tease ou les cinémas dédicacés à la chose. La vue d’une venelle vide encourageait le franchissement d’une frontière. À l’ivresse des formes s’ajoutait alors celle du dépassement de l’interdit, de la victoire gagnée sur la bien-pensance.
Ne parlons pas du courage nécessaire pour, par tous les temps, battre le pavé en scrutant à la dérobée les vitrines aux néons colorés. Soulignons l’excitation née des regards en coin, l’exaltation à jeter son dévolu sur une de ces dames dites de petite vertu qui allait nous enchanter et nous faire oublier la fadeur du quotidien. Souvent, l’une d’elles devenait notre préférée et nous lui restions fidèles. La fidélité à une catin, une valeur qui de nos jours malheureusement se perd.
Même si certains avaient une tendance à l’exhibition et une appétence pour les parties fines, un sens de la retenue les empêchait de filmer leurs ébats et de les diffuser à tout va comme c’est le cas à présent à travers la toile. Contrairement à ces temps de débauche qui sont désormais nôtres, le libertinage était considéré comme un art discret avec des règles de bienséance et des codes d’honneur.
Aujourd’hui, ces valeurs fondatrices ont disparu. L’époque est à l’industriel, à la mondialisation, au clic compulsif, aux images fades et souvent vulgaires.
Pauvre génération en perte de repères, en décalage avec la réalité vraie, celle de la chair certes tarifée, mais vivante et opulente.
Depuis l’avènement de l’Internet, le principe est au gratuit. Le libidineux s’abîme les yeux face à l’écran, ne sort plus et demeure bien au chaud dans sa chaumière, tendant à la paresse et à l’oisiveté. On préfère rester chez soi et même les partouzes entre amis ou voisins se font rares. Un nivellement par le bas ! Que dire de nos bons vieux peep-shows qui ont fondu comme neige au soleil.
Croyez-moi, tout cela nous conduit à un désastre de société qui fait la part belle à l’onanisme et détruit l’économie locale.
Qu’est-ce que je regrette nos saines, honorables et bonnes vieilles pratiques d’antan.
Mon Dieu, quelle époque ! Quelles mœurs !