J’aime me rendre dans un petit café un peu vieillot, aux murs couverts de carrelages de Delft, aux banquettes de moleskine et aux tables de chêne épais. Il est à la base d’un triangle isocèle presque parfait constitué sur son côté gauche de l’Université et sur celui de droite du Théâtre de l’Émulation devenu Grand Théâtre. De cette forme géométrique simple s’exprime la quintessence de la vie telle que je la conçois.
À gauche, la connaissance, l’analyse, la prospective, la raison, la gardienne du savoir. En face, l’imagination, la transcription des sentiments, la confrontation, l’interprétation subjective.
À la base comme je l’ai dit, mon bistrot, la synthèse idéale de ces deux mondes.
À l’intérieur de ces remparts, une place et l’effervescence inconsciente de la cité. Au centre, un monument presque oublié, mais aussi une plaque et une date rappelant la lutte pour la liberté.
Un triangle repose toujours sur sa base qui sert d’appui à ses côtés. C’est sans doute pour cela que j’aime ce café qui sert de socle à mon univers.
J’y refais le monde mieux que nulle part ailleurs, en partageant les plaisirs du vin ou de la bière. Je m’interroge souvent sur cette nécessité que nous avons, nous les humains, à vouloir remodeler la création alors que celle-ci est parfaite. Pourquoi vouloir l’adapter à ce que nous sommes ou souhaitons être alors que ce serait si simple de nous conformer à ses lois. Être soumis est un défi que les Soufis ont bien compris, eux qui font de leur vie un combat pour s’inscrire avec respect dans la volonté de cette nature parfaite.
Si donc il faut refaire le monde, c’est en modifiant nos attitudes pour qu’elles s’inscrivent dans le développement harmonieux du Tout, en se battant contre nos propres injustices.
À ce propos, il y a deux mille ans, il y eut un homme qui voulut ainsi changer le monde et qui, paraît-il, reviendra parmi nous un jour, à l’heure du jugement dernier. J’espère que cela se passera sur une petite place en triangle, avec à gauche la raison et à droite l’imagination, mais surtout avec à la base un petit bistro où l’eau sera à nouveau changée en vin.