Les contraires se ressemblent

Il est souvent dit : « qui se ressemble s’assemble », mais aussi « les contraires s’attirent ».

Voilà deux maximes totalement antinomiques qui jettent le trouble pour qui doit un jour faire des choix cruciaux, particulièrement en amour.

J’en veux pour preuve le récit qui suit et qui m’a été rapporté par une amie qui le tient elle-même de la nièce de sa cousine qui est musicienne à l’Orchestre Philharmonique.

Cette jeune femme brillante du nom de Julie, Premier prix du Conservatoire et d’une beauté plastique à émouvoir un artiste peintre paysager, a désormais trente-deux ans mais connu bien des déboires en ne respectant pas d’abord cette fameuse maxime des contraires et en choisissant au départ celle des ressemblances.

Voici son histoire telle qu’elle me fut relatée.

Julie est tombée amoureuse du premier violon du Philharmonique. Le premier violon, c’est le bras droit du chef d’orchestre, un rôle majeur quand on sait qu’un tel ensemble musical est une véritable entreprise. C’est l’adjoint du patron ! C’est lui qui s’occupe des détails journaliers avec pour fonction le respect de la hiérarchie, principalement avant toute représentation ; par le salut du chef d’abord et par la validation de l’accord parfait du «la » donné par le hautbois ensuite.

Elle a tout de suite été séduite par Herbert.

D’abord parce que Herbert est beau avec son catogan qui lui donne un air désinvolte malgré l’importance de sa fonction. Ensuite parce qu’il est ambitieux et qu’il voudrait un jour être lui aussi chef d’orchestre. Il a commencé dans les fosses de l’Opéra et le voilà, après quelques années seulement, à la lumière des plus grandes scènes. Enfin, ils ont cette passion commune du violon, car j’ai omis de dire que Julie est violoncelliste.

Ils se donnèrent l’un à l’autre après la répétition d’une œuvre de Mozart, alors que Julie, tête en l’air, avait oublié son archet à la maison.

Passons sur les premiers mois de roucoulements qui, vous l’imaginez, furent comme toujours d’une harmonie parfaite, appréciée d’autant plus par ce jeune couple à l’oreille musicale avertie. Mais cette harmonie n’eut qu’un temps et fut suivie d’une cacophonie tant privée que professionnelle.

Le chef d’orchestre s’en rendit compte et convoqua son premier violon. « Herbert, il faut agir et sans attendre. Vous devez absolument trouver un accord avec Julie, quel qu’il soit, mais cela ne peut durer ! »

En matière d’accord, au-delà du « la » qui donne le ton, le couple était bien dépourvu d’expérience. Sur base des conseils d’un ami compositeur spécialisé en musique de film pour comédie sentimentale, ils ont rencontré un psychologue renommé, expert en thérapie de couple.

Son constat dès la première séance fut sans appel : « Vous devez accepter vos différences malgré vos ressemblances. Pour ce faire, vous devez impérativement accorder vos violons. »

Après deux séances, Julie expliqua que le fait que Herbert joue du même instrument qu’elle et la domine par un lien hiérarchique entraînait chez elle un sentiment d’infériorité incompatible avec sa vision d’égalité entre un homme et une femme.

Après réflexion, le psy dit à Herbert : « Ne jouez plus du violon, essayez un autre instrument, au moins en privé pour commencer, j’insiste en privé. »

Ne sachant que manier le violon, mais, dans un esprit constructif, Herbert proposa la contrebasse, instrument proche qui dans l’orchestre joue un rôle important, mais bien moins reconnu en tout cas que les violons, qui plus est le premier violon.

Il y eut une amélioration dans leur vie de couple, mais après trois mois et trois séances de psy à cent trente euros, Julie craqua à nouveau.

« Il m’impressionne toujours docteur, mais cette fois par la taille de son instrument. Vous comprenez, je fais un transfert. Je sais, c’est freudien, mais je ne peux m’empêcher le parallèle entre la taille de son instrument de musique et… enfin vous comprenez. Pourtant, malheureusement, rien à voir entre les deux. » Cette confidence ne fit naturellement qu’envenimer les relations entre les tourtereaux.

« Bien sûr, je comprends » dit le médecin. « Le problème c’est que nous n’avons pas changé de paradigme. Vous en êtes restés aux instruments à cordes. Il faudrait que l’un d’entre vous essaye ou les cuivres ou les percussions, ne fusse qu’en privé, j’insiste en privé. »

Herbert, par amour pour Julie, lui promit d’apprendre le vibraphone et tomba amoureux de cet instrument. En quelques mois, il atteint la virtuosité d’un Lionel Hampton, d’un Paolo Conte ou encore d’un Sadi Lallemand. Il ne trouva plus aucun intérêt dans le violon et quitta le Philharmonique. Conscient de la portée de son geste et des sacrifices qu’il fit pour elle et pour leur couple, Julie le suivit en lui promettant de créer ensemble une nouvelle vie avec un nouveau projet.

Avec quelques amis fidèles, ils ont ainsi revisité le répertoire du jazz manouche en lui offrant une tonalité si particulière qu’ils se hissèrent souvent au somment du box-office.

Depuis, ils se produisent partout dans le monde, faisant salle comble dont un soir dans le petit club de jazz que je fréquente, le Jacques Pelzer, sur les hauteurs de la ville. Connaissant leur histoire, qu’il était beau de voir la complicité qui les unissait, eux qui pratiquaient des instruments pourtant fort différents.

Ils se sont produits partout dans le monde, faisant salle comble dont un soir dans le petit club de jazz que je fréquente, le Jacques Pelzer, sur les hauteurs de la ville. Connaissant leur histoire, qu’il était beau de voir la complicité qui les unissait, eux qui pratiquaient des instruments pourtant fort différents.

De ce récit, on peut conclure avec certitude que seuls les contraires s’attirent, mais qu’il faut auparavant en accorder les violons.