Texte présenté le 5 mars 2019 au Blues Sphère de Liège dans le cadre de la soirée mensuelle « Laisser dire » avec pour thématique le printemps
Moi ce que j’aime, ce sont les fruits.
J’aime les fruits car ils sont gorgés de vie.
Ils sont parfumés comme les femmes.
Les fruits, c’est toute ma vie.
C’est grâce à eux que modestement je la gagne.
Je ne suis pas bien riche. Cependant je suis heureux. J’ai pour tout bien une charrette et une balance…et puis surtout ma famille, ma mère. C’est pour eux que je vis, c’est pour eux que je travaille.
Mais je vis aussi d’espoir et de rêves. Je vis avec l’envie secrète de changer le monde. Il m’arrive souvent d’espérer plus de justice et de respect surtout vis-à-vis des plus faibles, des plus pauvres.
Les pauvres, j’en fais partie. Je ne demande pas être plaint et je ne nourris aucune envie vis-à-vis d’autrui. Qu’Allah m’en préserve, lui qui est mon réconfort.
Je veux seulement être reconnu pour qui je suis, un homme qui a droit au respect.
Les fruits, c’est toute ma vie.
Un jour ils ont confisqué ma charrette et ma balance. Ils m’ont dépouillé de ma recette. Ils m’ont giflé, m’ont insulté, m’ont humilié.
Ce sont eux, ces h’nouchas, ces misérables serpents rampants qui ont pris ma vie.
Ce jour-là mon cœur s’est enflammé ; il s’est rempli de haine.
La vengeance brûlait en moi, me dévorait de l’intérieur. Comme je suis un doux, j’ai fait taire ma colère en la retournant contre moi-même. Je me suis enflammé sans savoir que sous peu je mettrai le feu au monde arabe. Je suis devenu un symbole. Désormais des rues, des places et des bâtiments publiques portent le nom de Mohammed Bouazizi, mon nom.
Je n’avais rien demandé. Je voulais simplement ma charrette, mes fruits et ma balance.
Nous étions en décembre 2010 mais, quelle que soit la saison, à Paris, à Prague, à Sidi Bouzid ou à Tunis, les révolutions, comme les fruits, portent en elles le printemps.
Mohamed Bouazizi (arabe : محمد البوعزيزي), de son vrai nom1 Tarek Bouazizi (طارق محمد البوعزيزي), né le à Sidi Bouzid et mort le à Ben Arous, est un vendeur ambulant tunisien dont le suicide par immolation par le feu le — il en meurt deux semaines plus tard — est à l'origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la révolution tunisienne évinçant le président Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir, et sans doute par extension aux protestations et révolutions dans d'autres pays arabes connues sous le nom de Printemps arabe. (Wikipédia)